Nous n’avons pas de comptes-rendus sur les activités entreprises par Théo Varlet dans la capitale. Quelles qu’elles aient été, elles ont produit l’effet escompté puisque le 11 janvier 1929 il peine à occulter sa joie lorsqu’il transmet la nouvelle si attendue à son ami Jules Mouquet:
“j’ai reçu, voici quatre jours, une lettre de Normandy, me demandant d’urgence mon AVANT LA NUIT BARBARE, pour le publier dans la revue LA FRANCE ACTIVE, dont il est directeur littéraire”(57).
Et s’il se questionne au sujet de l’agent déclencheur à l’origine de cette demande si fortuite, il pense bien connaître la réponse:
“Il ne me dit pas que c’est à l’instigation de Godoy qu’il me fait cette demande, mais j’ai tout lieu de le croire, puisque Godoy, à Paris, m’avait fait la promesse de me placer ce roman à la Revue Mondiale s’il le pouvait. Il ne l’a pas pu, et y a substitué la F. A., je suppose”(58).
Cette croyance est induite par un léger sentiment d’hostilité diffuse à l’égard de Georges Normandy, une méfiance peut-être injustifiée que lui fera dire:
“…je ne veux pas que Normandy, excellent garçon mais peut-être accaparateur, ait indument le bénéfice de ma gratitude active” (59).
Un mois plus tard, l’absence totale de réponse suite à l’envoi du manuscrit commence à alimenter à nouveau son inquiétude:
“…je n’ai rien reçu de nouvelles de Normandy, depuis l’envoi de mon MS, en réponse à sa lettre: Vite! envoyez… Cette France active n’est guère pressée de se manifester dans son nouvel avatar auquel doit présider Normandy! A part cela, d’après le papier à en-tête, il semble bien que cette revue existe… Patience: nous verrons bien”(60).
Finalement, les bonnes nouvelles seront au rendez-vous d’une façon presque inattendue:
“J’ai reçu le nº du 31 janvier de la France Active (…) où Normandy annonce, en termes truculents et hyperboliques, mon roman (…) à paraître au nº de fin de février…”(61).
Commence alors une nouvelle étape, celle de veiller à la bonne marche de la publication en feuilleton à La France Active car, si elle s’annonce largement profitable au point de vue économique – payé dix francs la page -, ses rapports avec les éditeurs et directeurs de revues se sont presque toujours avérés par le passé conflictuels ou du moins relativement tendus.
Le temps se chargera de lui démontrer qu’il n’avait pas tout à fait tort car certaines éventualités fastidieuses vont avoir lieu:
“En changeant de direction, la FRANCE ACTIVE a décalé au 15 sa date mensuelle de parution. Je viens de recevoir le nº de mars, avec le début de mon roman. Mais, sur les 200 pages de nº l’on ne m’en a donné que neuf (deux pour une introduction que j’ai jugée, au dernier moment, indispensable, et sept de texte!) De ce train-là, il faudra deux ou trois ans pour venir à bout du roman. J’ai écrit à Normandy ma surprise. Dans les autres revues, la moyenne de texte publié par nº est d’une trentaine de pages…”(62).
Une telle situation ne pouvait que continuer d’attiser sa méfiance sur la solidité de l’engagement de Georges Normandy:
“Nonrmandy? Évidemment, ce début de publication à la F.A. devrait cristalliser ma confiance… Mais…? Et il reste d’abord à voir si le nº du 15 avril mettra fin à la plaisanterie des 9 pages” (63).
Simultanément, il ne néglige point sa première ligne de front, celle dont l’objectif est la publication en volume d’Avant la nuit barbare; d’autant plus qu’il devient l’objet d’un irritant malentendu:
“Je ne sais quel hurluberlu (si c’est un ami, et bien intentionné) vient de communiquer à l’Intran(sigeant), qui s’est empressé de la publier, une note disant: “«M. Théo Varlet prépare un nouveau roman: Avant la nuit barbare»… Prépare! J’ai envoyé une rectification”(64).
Ainsi, en format feuilleton de La France Active à l’appui, Varlet le propose à Edgar Malfère(65), l’agent du milieu éditorial qui s’était montré très sensible par le passé à ses requêtes. Cependant, lorsque Varlet lui rend visite le 28 juillet 1929, celui se montre “soudainement désagréable”(66) , à un tel point qu’“une suggestion au sujet d’Avant la nuit barbare (C’était facile: il reçoit et lit la France Active) a été repoussée dédaigneusement”(67). Malgré sa grande détermination, il devient évident que Varlet a épuisé autant ses forces morales et physiques que les relations auxquelles il pouvait faire appel. À cet égard, il se confie en ces termes à son ami:
“Vos bonnes et amicales paroles, mon cher Jules, ont contribué pour leur part à refouler la vague de dégoût (telle que je n’en avais pas connu depuis des longues années) suscitée dernièrement par le mauvais état de mes affaires présentes et futures… Les reproductions d‘ouvrages en feuilleton, si elles se multipliaient convenablement, suffiraient presque… Mais je ne connais pas assez de journalistes”(68).
Après plusieurs autres tentatives ratées, Varlet sera irrémédiablement contraint de mettre au rancard Avant la nuit barbare “pour diverses raisons, entre autres la raison financière”. Terrible et puissante raison qui lui fera conclure:
“je dois faire un roman qui se vende, «genre Roc d’Or»…”(69).
Ce roman sera La grande panne, un livre dont l’écriture avait débouté quelques quatre ans auparavant et qui avait peut-être été relégué à un second plan à l’avantage d’Avant la nuit barbare. C’est sur La grande panne que Varlet concentrera désormais tous ses efforts dans l’espoir de renverser l’état des choses une fois pour toutes:
“J’ai besoin (de) ce roman, qui est bon, qui doit avoir du succès… J’ai (…) besoin d’effacer définitivement l’impression inhibitrice d’Avant la Nuit Barbare, pour refaire, l’été prochain, un autre roman scientifique qui «rapporte». Car j’en ai par-dessus la tête, des traductions alimentaires…”(70)
Le dossier concernant Avant la nuit barbare sera classée définitivement quelques semaines plus tard:
“Enfin, je ne m’occupe plus de ce bouquin : c’est du passé. Ce qui m’emporte à présent, c’est que la GRANDE PANNE ait une bonne vente”. (71)
Publié vers la fin octobre 1930 par les Éditions du Portique, La grande panne sera mis en vente tel que prévue à la mi-novembre de la même année. Toutefois, aucun autre de ses romans personnels ne verra pas le jour de son vivant. Aussi, lorsque L’Amitié par le livre prendra en charge la réédition de l’ouvrage en septembre 1936, le prière d’insérer accompagnant le volume portera en entête un constat bien triste:
“L’AMITIÉ PAR LE LIVRE n’ignore pas qu’il n’est guère d’usage de donner la critique d’un ouvrage en réédition. Elle nous prie cependant de faire exception pour le présent ouvrage édité au bénéfice de l’auteur gravement malade et sans ressources”.
Avant la nuit barbare reste à ces jours un roman fantôme dont les pages jaunâtres de La France Active ont bien su en garder le secret. Les dix-huit livraisons publiées entre le 31 janvier 1929 et le 15 juin 1930 se trouvent maintenant à la portée de tous grâce au service de digitalisation de la Bibliothèque national de France. Il ne reste plus qu’à espérer qu’un éditeur aura le courage de le publier en volume.
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57, 58, 59- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 11 janvier 1929. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 235.
60- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 7 février 1929. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 238.
61- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 24 février 1929. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 239.
62- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 24 mars 1929. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 242.
63- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 6 avril 1929. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 244.
64- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 20 octobre 1929. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 264.
65- Edgard Malfaire (1885-1943): Poète sans fortune (il débuta au Beffroi à coté de Théo Varlet et d’autres jeunes poètes mais se sent vite abandonné de la Muse) il se lance, après la Grande Guerre, dans l’aventure de l’édition. Sa fameuse «Bibliothèque du Hérisson», devenue un des emblèmes de l’édition régionale de qualité, se montrera toujours accueillante envers les écrivains nés en Picardie ou y résidant. (André Camus: Edgar Malfère. Poète et éditeur de poètes à Amiens et à Paris. Amiens: CADP, 1979).
66- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 29 juillet 1929. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 254.
67- Ibid.
68- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 13 décembre 1929. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 264.
69- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 10 avril 1930. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 280.
70- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 10 septembre 1930. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 291.
71- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 9 octobre 1930. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 293.
Mar 07, 2016 @ 09:04:37
La historia se repite … diferentes épocas pero los mismos problemas fundamentales … Gracias por el artículo.
Mar 07, 2016 @ 09:51:53
Efectivamente Glomacher; no hay nada nuevo bajo el sol. Seguimos siendo los mismos con las mismas necesidades.
Gracias por seguirme.