Vindex « Le vengeur ». Partie I

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Théo Varlet aimait bien la “société des chats”. Cette nouvelle, publiée dans le nº 74 de Les Cahiers du Sud en décembre 1925 et restée inédite depuis, est un bel exemple d’à quel point nos petits félins domestiques se sont faufilés dans certains de ses textes jusqu’à occuper, comme il est le cas ici, toute la place. Je ne chercherai pas midi à quatorze heures (“chercher les trois pattes du chat”, comme dissent les espagnols) dans une affaire si ordinaire, mais j’aimerais malgré tout emprunter les mots du malheureux personnage de cette nouvelle, l’également poète Pierre Gaschart, afin d’avance une explication possible à la félinophilie, que non félinomanie de Théo Varlet: “Les chats inapprivoisables comme moi, les chats libres et non soumis; domestiqués, mais indomptés”. (1)

Voici qu’il profère en sourdine son fameux cri de “Non serviam” (2), de non conforme, se dissociant “des grégaires, farcis d’hypocrisies, (qui) évitent au contraire les chats, qui incarnent l’égoïsme, l’amoralité (comme ils dissent), l’ingratitude” (3). Car…

La vie, hors la stupidité égalitaire,
La vie, hors le Troupeau, est toujours aussi dure. (4)

Les Cahiers du Sud (Fortunio), Nº 74 — 11ème année, Décembre 1925. Couverture avant..

Vindex «Le Vengeur» (1)

Une mort stupide, oui, je te l’accorde; mais quand à être «œuvre d’une fatalité aveugle», comme je l’ai lu dans ton article nécrologique et comme tu m’as tout l’air de le croire réellement, ça, mon vieux, non! La mort de notre ami Pierre Gaschart est au contraire un exemple de ce que peut «le sort artiste», pour parler comme Montaigne — la Justice Immanente, pour user d’un grand mot. Il n’est peut-être pas nécessaire que le publique sache la vérité sur le cas du défunt poète; mai, avec son dédain habituel de l’opinion, celui-ci ne m’as pas demandé le secret, lorsqu’il s’est ouvert à moi, une semaine avant sa fin. Nulle scrupule ne me retient donc de te raconté ce que j’ai entendu — et ce que j’ai vu. Tu jugeras par toi-même quelle fut la part du hasard dans le trépas de l’ami Pierre.

J’étais aller lui serrer la main en passant, à la veille de partir en voyage, mais sans me douter le moins du monde que je lui faisais une visite de suprême adieu, car je ne devais rester absent qu’une dizaine de jours, et il me paru en santé normale — pour ses cinquante-sept ans. Je le trouvai au milieu de ses bouquins, debout et causant avec Albert Defrenne — le peintre — qui se disposait à prendre congé.

Comme à l’ordinaire, chez Gaschart, trois ou quatre représentants de cette baroque tribu de chats qu’il entretient en permanence, rôdaient par la pièce avec une désinvolture de maîtres absolus. Je n’aime guère ces félins hypocrites, et ils les sentent en général. Par politesse, néanmoins, j’allais pour en caresser un — un gris cendré tacheté de feu, qui se tenait sur un fauteuil, la queue en crosse épiscopale, et me considérait avec méfiance. A mon geste, l’animal se hérissa, prêt à fuir. «Hé bien! Vindex!» fit Gaschart sur un ton de reproche. Et allongeant la main, il ceintura le dénommé Vindex, afin de me le tendre. Mais le chat, soudain en révolte, gronda, se débattit, d’un coup de patte inattendu et brutal, planta ses griffes dans le pouce de son maître, et disparut d’un bond.

— Oh! la brute! Et vous ne bronchez pas, monsieur Gaschart! Moi, si un chat me faisait çà, je l’étranglerais net.

Gaschart, en effet, n’avait pas eu le moindre mouvement de colère. Tout pâle, et sans répondre à la réflexion du peintre, il éleva la main à la hauteur de ses yeux, et considéra le sang qui gouttait.

— Ils reçoivent une jolie éducation, vos chats, s’indignait l’autre. Vous ne les punissez jamais?

— Non, jamais.

Et ce fut tout. Defrenne acheva de prendre congé, et sortit. Une fois seul avec moi, le vieux poète m’indiqua un fauteuil et s’assit également. Puis, le menton dans la main où son pouce enveloppé d’un mouchoir faisait une grosse «poupée» blanche, il reprit d’un air grave:

— Toi aussi, André, tu t’étonnes de ma longanimité; tu ne comprends pas que je me laisse griffer bénévolement par mes bêtes…

« Devant Defrenne, je ne pouvait rien dire: il n’est pas de notre génération, et il a fait la guerre, lui, comme combattant; il a tué des Boches, et n’en a aucun regret… Avec toi, je puis parler: tu est de mon âge, tu as les mains pures: tu ne riras pas de mes remords.

« Car, pour t’expliquer mon indulgence, et par la même occasion ma manie des chats, comme vous dites tous, je dois te faire un aveu. Je suis… j’ai été… Ou pour mieux dire, innocent aux yeux des hommes, je connais tous les remords d’un assassin.

« Ne prends pas cet air inquiet: mas raison est entière: cinq minutes de patience, et tu vas comprendre.

« On affirme qu’en matière de crime, il n’y a que le premier pas qui coûte, et qu’un enfant cruel à l’égard des animaux finira volontiers par «tuer père et mère»… Quelle erreur! Je crois, pour ma part, — et mon expérience le démontre — que chacun de nous a en lui un certain taux de criminalité à réaliser — un ancêtre farouche à satisfaire, si tu aimes mieux — et que, la dose de meurtre une fois atteinte, c’est fini; l’appétit lui manque pour aller au delà. Ce goût du sang est merveilleusement développé chez une bonne part de nos contemporains, la guerre la bien fait voir: — un Defrenne, par exemple, a eu jusqu’au bout du plaisir à tuer; — mais cela ne prouve rien contre mon principe.

« Il faut croire que j’était piètrement doué sous ce rapport, car un seul meurtre suffit à saturer mon besoins — ma libido de tuer, comme dirait, je pense, Freud — à me libérer de l’ancêtre criminel… Et peu importe que ce meurtre n’ait pas même été commis sur un homme: il fut pour moi un événement capital, et il m’inspire aujourd’hui encore, après quarante-deux ans, les plus affreux remords.

« J’avais quinze ans. Futur poète, je me sentait déjà solitaire au milieu du monde, et j’en souffrais, cruellement. A cette heure, j’ai fini par comprendre que je ne partage pas les préoccupations sociales de mes congénères, et que je suis aussi loin d’eux que le serait, par exemple, un Martien frais débarqué de sa planète: — j’ai appris à refouler mes désirs d’expansion, à les faire passer uniquement dans mes vers. Mais, à quinze ans, mon besoin de fraternité sentimentale restait entier. Or, avec ma famille, je percevais trop le malentendu continuel pour oser me livrer, et s’était pis encore avec mes camarades, qui me flairaient «pas comme les autres» et se défiaient de moi. Mon isolement était tel que j’avait reporté mon désir de tendresse sur des animaux, lesquels me paraissaient plus proches — c’est te dire!… Pas sur les chiens, toutefois: ces classiques confidents étaient trop serviles. Non, j’aimais les chats. Les chats inapprivoisables comme moi, les chats libres et non soumis; domestiqués, mais indomptés. Je lisais dans leurs yeux mystérieux des aspirations sœurs des miennes, et je plongeais ma pensée dans leurs prunelles verticales, qui se contractaient peu à peu sous la fixité de mon attention.

A suivre….

Théo Varlet

1- Varlet, Théo. “Vindex «Le Vengeur»”. Marseille: Les Cahiers du Sud (Fortunio), Nº 74 — 11ème année, Décembre 1925: 824-830.

2- Varlet, Théo. “Non serviam”. Paralipomena. Paris: Les éditions Crès et Cie, 1926: 81-87.

3- Varlet, Théo. “Chiens”. Calepin du chemineau. Épilogues. Lille: Les éditions Vouloir, 1926: 60-62.

4- Varlet, Théo. Paralipomena. Paris: Les éditions Crès et Cie, 1926: 87. Derniers vers du poème “Non serviam”.

L’ivresse d’un faune affolé de lumière

Nous avons vu, dans le billet précédent, comment Roger Salardenne, dans son ouvrage intitulé Un mois chez les nudistes (1), présentait Théo Varlet comme étant l’un des précurseurs du naturisme en France, et cela bien avant que les premiers mouvements nudistes ne fassent leur apparition en ce pays.

Un mois chez les nudistes, dont le sous-titre était Nouveau reportage en Allemagne, eut évidemment un profond retentissement au pays des teutons. Une transposition en langue allemande en charge d’un dénommé Max Barpens ne se fit pas attendre (2). Elle était enrichie d’une préface et d’un épilogue du Dr. Adolf Koch ainsi que d’un chapitre supplémentaire où, en mode de conclusion, Roger Salardenne déclarait s’être laissé gagner par la cause de la «Nacktkultur» dans les termes suivants:

Un an s’est écoulé depuis l’écriture de ce livre. Encore une fois, je suis en Allemagne. Mais, cette fois, ce n’est pas le journaliste qui s’y rend, cette fois, c’est un partisan enthousiaste de la culture de la nudité qui rend visite à ses amis de l’autre côté du Rhin… L’année dernière, j’étais tout simplement désireux de m’orienter sur un mouvement qui, bien sûr, m’était déjà très sympathique. Cette année, je suis plus que juste un sympathisant, car maintenant je pratique non seulement la culture de la nudité, mais en fais aussi la plus vive des propagandes”. (3) (4)

Salardenne, Roger. Bei den nackten menschen in Deutschland. Übersetzung Max Barpens. Verlang/Leipzig: Ernst Oldenburg, 1930. Page de titre. Salardenne, Roger. Bei den nackten menschen in Deutschland. Übersetzung Max Barpens. Verlang/Leipzig: Ernst Oldenburg, 1930. Photographie d'Adolf Koch.

Adolf Koch, à qui Roger Salardenne consacrait déjà l’intégralité du deuxième chapitre de la version originale de son livre, a été l’une des figures majeures du naturisme dans l’Allemagne des années 1920 et 1930. Sa doctrine de la nudité avec, comme pilier central, l’exercice physique à nu, était pour lui le point de départ d’une nouvelle société plus ouverte et progressiste, du moins en ce qui a trait à ses aspects moraux, sexuels et physiques. Accusé de s’être trop rapproché des politiques eugénistes lors de l’avènement du Troisième Reich -il s’est déclaré en faveur de la biologie et l’hygiène raciales- il n’est pas moins vrai que le régime nazi a fini par clôturer son organisation après avoir tout d’abord essayé inutilement de l’instrumentaliser.

Le nudisme pratiqué par Théo Varlet et dont il prônait les vertus se trouvait, pour sa part, à l’opposé de celui qui semblait faire fureur en Allemagne. À caractère purement hédoniste, il l’exerçait en totale liberté et indépendance hors les clubs et groupements naturistes qui, ayant toujours tendance à «enrégimenter» et manipuler ceux qui en font partie, allaient à l’encontre de son individualisme farouche. Ceci ne veut pas dire, pour autant, qu’il le pratiquait toujours seul ou en l’unique compagnie de sa femme: “…Sans avoir jamais fait ce qui s’appelle du prosélytisme, l’exemple n’a pas été perdu, et j’ai provoqué un certain nombre d’adhésions directes -sans compter les autres- dans le cercle de mes amis et relations”. (5)

Salardenne, Roger. Un mois chez les nudiste. Nouveau reportage en Allemagne. Paris: Éditions Prima, 1930. Page de titre.Cependant, se mettre à nu n’était pas le but ultime poursuivi par Théo Varlet. Le désencombrement vestimentaire n’avait pour lui d’autre finalité que celle d’éliminer les barrières entre l’enveloppe corporelle et les caresses bienfaitrices de l’Astre-Roi. Car Théo Varlet était, avant tout, un amateur de «soleillades» (vocable occitan voulant dire «rayonnement du soleil» et dont il élargit la signification en lui attribuant la nouvelle acception d’«exposition aux rayonnements du soleil»). Les sensations, parfois brutales, provoquées par l’ivresse dû à ces «soleillades» sont bien présentes partout dans l’œuvre de Théo Varlet. Elles sont surtout à l’origine d’une série de compositions poétiques où “la soif de volupté et de plaine vie aboutit” (6) en “une sorte d’hymne au Soleil (…) qui fait refleurir (en lui) les mythes primordiaux” (7). C’est le cas du poème intitulé «Soleil» dont une grande partie est reproduite dans la version française d’Un mois chez les nudistes à l’intérieur du discours de Varlet prononcé aux Rosati d’Amiens en 1928:

…Et voici: le soleil se réfracte en ma chair;
Et l’atomique émoi de l’âme élémentaire,
Peut-être ainsi mémorieuse
De l’âge incandescent des vieilles nébuleuses,
Suscite, extase obscure au tréfonds de mes nerfs,
La volupté sans nom des cieux originaires.
Soleil! ravis mon beau cœur vierge,
Libre d’amour, et de tristesse, et de désirs humains;
Soleil, frère éternel, submerge
Mon cœur dans la splendeur de tes rayons divins!

Plus ardent que les épidermes furieux,
Plus profond que les fols accouplements de lèvres,
Plus vaste que la mer toxique des ténèbres,
Je m’abime, Soleil, en ton baiser de feu!… (8)

Mais nulle part, la ferveur du poète n’attendra un degré plus intense que dans «Soleillade». Il y a plus qu’une communication ardente avec la puissance régénératrice, plus qu’une simple reprise de fluides magnétiques; tout pénétré de la force solaire, le poète se sent lui-même devenu un dieu, et ce rayonnement qu’il reçoit, il le dispense à son tour, à la Terre «chair universelle» que son étreinte embrasse” (9):

Je te conquiers, ô Fille antique du Soleil!
Chair,
Mon ivresse de faune affolé de lumière
Caresse, à tes contours fauve-ondulants, la mer;
O Terre, Chair essentielle, je te baise,
Et t’infuse, ébloui de cosmiques genèses
Tout le ruissellement nuptial du Soleil. (10)

La traduction allemande de Max Barpens est amputée de toute référence à la «poésie solaire» de Théo Varlet empêchant, de cette façon, le lectorat allemand de bien saisir le caractère particulier du naturisme auquel il s’adonnait avec autant de joie. Elle est plutôt vouée à mettre en évidence la fonction sociale des mouvements naturistes qui se développaient en Allemagne à ce moment-là. Salardenne, Roger. Un mes entre desnudistas. Nuevo reportaje en Alemania. Traduction de Isidro Maltrana. Barcelona, Antonio López, 1932. Page de titre.Dans ce sens, la doctrine d’Adolf Koch cherchait à atténuer la marginalisation à laquelle étaient condamnés les membres des classes ouvrières allemandes par l’instauration d’une discipline menant à la connaissance et la maîtrise du corps et, par ce fait, de l’esprit. Il est aisé de comprendre que le régime nazi ait essayé de se l’approprier à des fins dont nous connaissons tous les affreuses conséquences.

Ces deux prisses de positions philosophiques autour de la nudité partageaient nonobstant une volonté qui leur était commune, celle de s’opposer fermement à une conception bourgeoise de la vie et aux sociétés des gens bien-pensants. Le corps nu choque; sa seule image constitue déjà un puissant moteur de changement social. C’est peut-être dans ce sens qu’il faut expliquer la publication en 1932 d’Un mes entre desnudistas (11), la version en langue espagnole d’Un mois chez les nudistes. Parue à Barcelone en 1932, et en tout point identique à la version originale française, Un mes entre desnudistas est un bel exemple de l’intérêt alloué par la partie plus progressiste de la société catalane et espagnole de l’époque aux idées nouvelles qui parcouraient l’Europe.

Salardenne, Roger. Un mes entre desnudistas. Nuevo reportaje en Alemania. Traduction de Isidro Maltrana. Barcelona, Antonio López, 1932: 216. Extrait du poème «Soleil» .

“Je serais très curieux de voir aujourd’hui -se demandait Théo Varlet en 1929- les débuts sociaux de ce sport, qui ne saurait manquer, sauf cataclysme de notre civilisation, de se généraliser… peut-être pas jusqu’au nudisme intégral: 1900 ans de préjuges sexuels chrétiens ne se biffent pas en un jour! mais qui sait pourtant?” (12). Et pourtant ce cataclysme eut bien lieu. En Espagne d’abord, où le soulèvent militaire du général Franco mis fin à la courte aventure de la Deuxième République Espagnole, et en Europe, presque au même moment, avec l’emprise d’Adolf Hitler et du Parti Nazi sur l’Allemagne et le déclenchement de la Deuxième Guerre Mondiale.

Le soleil est bien revenu après cette période funeste et demeure positionné très haut sur nos têtes. Les temps ont changé et avec eux les mentalités, du moins dans cet occident dans lequel nous vivons. Il reste à espérer que, cette fois ci, aucun corps étranger ne viendra pas l’éclipser.

1- Salardenne, Roger. Un mois chez les nudiste. Nouveau reportage en Allemagne. Paris: Éditions Prima, 1930.

2- Salardenne, Roger. Bei den nackten menschen in Deutschland. Übersetzung Max Barpens. Verlang/Leipzig: Ernst Oldenburg, 1930.

3- Ibid.: 146.

4-Ibid.: 146. Texte original en allemand: “Ein Jahr ist vergangen seit der Niederschrift dieses Buches. Wieder bin ich in Deutschland. Aber dieses Mal ist es nicht der Journalist, der reist, dieses Mal ist es ein begeisterter Anhänger der Nacktkultur, der seinen Freunden jenseits des Rheins Besuch abstattet… Letztes Jahr war ich nur begierig, mich über eine Bewegung, die mir freilich auch damals schon sehr sympathisch war, näher zu orientieren. Dieses Jahr bin ich mehr als nur ein sympathisierender, denn ich übe jetzt nicht nur die Nacktkultur praktisch aus, sondern mache auch lebhafte Propaganda dafür”.

5- Salardenne, Roger. Un mois chez les nudiste. Nouveau reportage en Allemagne. Paris: Éditions Prima, 1930: 174.

6- Varlet, Théo. Aux libres jardins. Précède d’une étude par Joseph Billiet. Amiens: Edgar Malfère, 1922: 14.

7- Jeanroy-Schmitt, André. La poétique de Théo Varlet. Lille: Mercure de Flandre, 1929 : 68.

8- Varlet, Théo. Aux libres jardins. Précède d’une étude par Joseph Billiet. Amiens: Edgar Malfère, 1922: 35. Extrait du poème «Soleil» .

9- Jeanroy-Schmitt, André. La poétique de Théo Varlet. Lille: Mercure de Flandre, 1929 : 80.

10- Varlet, Théo. Paralipomena, Paris: Les éditions Crès et Cie, 1926: 28. Extrait du poème «Soleillade».

11- Salardenne, Roger. Un mes entre desnudistas. Nuevo reportaje en Alemania. Traduction de Isidro Maltrana. Barcelona, Antonio López, 1932.

12- Salardenne, Roger. Un mois chez les nudiste. Nouveau reportage en Allemagne. Paris: Éditions Prima, 1930: 177.

Un précurseur du nudisme en France: Théo Varlet

Le nom de Théo Varlet est surtout associé aujourd’hui à la littérature française d’anticipation, domaine dans lequel on le reconnaît, de plus en plus, comme l’un des précurseurs. Il y a nonobstant une discipline dans laquelle il l’a été tout autant et dont la pratique serait d’ailleurs en rapport très étroit avec son éternelle quête de liberté et d’évasion. Nous nous referons au naturisme, activité qui a profondément marqué, d’une façon ou d’une autre, une partie non négligeable de sa production littéraire.

D’après le propre témoignage de Théo Varlet, ses débuts nudistes remonteraient à l’année 1905. C’est ce qui nous apprend Roger Salardenne dans son livre Un mois chez les nudistes. Nouveau reportage en Allemagne, publié par les Éditions Prima en 1930 comme un complément à un premier ouvrage intitulé Le culte de la nudité, paru une année plutôt. La tradition véhiculant l’idée que les doctrines nudistes aient fait leur apparition en Allemagne, Salardenne s’affaire à démontrer, à l’appui de deux lettres et de quelques extraits tirés d’un discours de Varlet aux Rosati d’Amiens, que “Le mouvement nudiste français ne s’était pas inspiré de la libre culture allemande et que nous avions en France des précurseurs du naturisme ignorant l’existence de la doctrine en Allemagne”. (1)

Comme l’attestent encore mes poèmes «Solaires» de cette époque -fait-il la remarque à Roger Salardenne-, j’avais déjà, vers 1905, redécouvert pour mon propre compte, et mis en pratique les longues expositions au soleil du corps à l’état nu, avec ou sans bain” (2). “Tous Salardenne, Roger. Un mois chez les nudistes. Nouveau reportage en Allemagne. Paris: Éditions Prima 1930. Couverture avant.mes amis savent que depuis vingt-cinq ans je pratique, en sus de bains, la soleillade autant que le permettent les circonstances, sans encombrement vestimentaire; et les lecteurs familiarisés avec mon œuvre poétique doivent être également fixés sur mon opinion et mes tendances à cet égard”. (3)

Par souci de vérité autant que d’honnêteté, Varlet tient cependant à préciser qu’il ne voudrais pas accaparer un honneur qui, légitimement, ne lui revient pas de façon absolue: “Bien que le nudisme -le naturisme ou n’importe que vocable- fut prêt en moi à éclore sous le moindre prétexte, je dois reconnaître que l’impulsion me vient d’un initiateur, qui déjà pratiquait fervemment le culte du Soleil”. (4) L’identité de cet initiateur et les circonstances de sa rencontre seront largement évoquées lors de sa conférence aux Rosati d’Amiens prononcée en 1928:

Il fallut, en 1905, un séjour d’été dans le Midi, et surtout la rencontre que je fis alors d’un intrépide marcheur à pied, pour décider de ma vocation de chemineau amateur ou du moins pour me révéler à moi-même et me faire sentir que je devais opérer par ce moyen une nouvelle conquête des paysages. Il y a des réactions chimiques où tous les éléments ont beau être réunis, ils demeurent inertes dans les conditions normales: il faut pour provoquer la réaction, les mettre en présence de certains corps que l’on nomme «catalyseur» … Nicolas Dragoumis fut mon catalyseur.

Vague étudiant, peintre à ses heures, mais n’aimant en réalité que deux choses au monde: le soleil et les grandes routes, ce Grec devait avoir le philosophe cynique Diogène parmi ses ancêtres. Je le revois, homme-salamandre, maigre et souple, avec sa figure osseuse et recuite, tel un vase antique d’argile rouge…

Lorsque mon ami le peintre Jean Baltus me le présenta dans la gare provençale de Graveson où je débarquais sous un formidable soleil le 15 août, Dragoumis revenait d’une “petite balade” de trois semaines à pied… La découverte du Midi l’été eût été incomplète pour moi sans la présence de ce singulier personnage, qui incarnait la flamme ardente et le culte, la religion, presque, du soleil.

A trois, lui, l’ami Baltus et moi, nous partions de grand matin, pour traverser la montagnette, rochers blancs veinés d’ocre, brousse odorante de thym, lavande, romarin, et gagner, à une quinzaine de kilomètres, Pont d’Aramon, aux bords du Rhône… Et là, étendus sur les digues désertes du fleuve, entre les séances de nage, nous restions des longues heures à nous imbiber de soleil.

Le soir, lorsque venait l’apaisement après la calcination diurne, Dragoumis emportait sa guitare, et avec l’ami Baltus nous allions, à quelques cents mètres du mas, nous assoir au bord de la route blanche, blanche au clair de lune comme de la poudre de riz…” (5)

Varlet, Théo. Aux Îles Bienheureuses. Grasse: Éditions de l’Artisan, 1925. Bandeau gravé au canif par Lucien-Jacques

On serait porté à croire, à la lecture surtout des premières lignes de cette conférence prononcée aux Rosati d’Amiens, que le goût des soleillades n’ait été présent chez Théo Varlet qu’à partir de cette heureuse rencontre avec Nicolas Dragoumis. La vérité c’est qu’il l’était déjà, à l’état embryonnaire du moins, depuis qu’il quitta Lille pour aller s’installer sur les rives de la Mer du Nord:

Fils du Nord, et n’ayant guère connu les bains jusque-là que sur nos plages, dans les eaux limoneuses de la mer du Nord ou de la Manche, c’était pour moi une véritable initiation. Naturellement il m’était arrivé, au sortir de l’eau, de rester nu au soleil pour me sécher, dans le calme d’une belle journée, ou de faire un temps de galop sur le sable, dans l’enivrante flagellation du grand vent d’ouest; me je n’avais jamais senti que confusément l’attrait merveilleux, la grandeur du baiser solaire. Il me restait à constater dans ma chair, à vivre par moi-même ce qui n’était encore que des idées littéraires: la mer créatrice de la vie primordiale, le soleil père de la vie sur notre planète; tout l’élan intuitif des mythologies vers le soleil divin, retrouvé dans mon âme de feu saturant la sieste offerte en holocauste, pénétrant toutes les cellules du corps, se transmuant en lyrismes poétiques…” (6)

Il va sans dire que ce rapport à nu entre homme et soleil était toujours perçu, jusqu’à il n’y a pas longtemps, comme étant un comportement scandaleux sinon fortement transgressif. Il est analysé dans un contexte temporaire beaucoup plus large, quoique topographiquement plusUrbain, Jean-Didier. Sur a plage. Mœurs et coutumes balnéaires (XIXe-XXe siècles). Paris: Éditions Payot et Rivage, 2002. Couverture avant limité, par l’anthropologue français Jean-Didier Urbain dans un curieux essai intitulé Sur la plage. Tous les détails sur l’évolution historique des relations entre les hommes et la mer sur cette étroite frange de territoire qu’elle partage avec la terre y sont exposés. De territoire de pêcheurs suggérant la crainte, voire la répugnance, le bord de mer devient lieu “de “«balnéarisation» primitive” (7), puis de villégiature, avant de se transformer en une sorte de lieu de culte où le baigneur contemporain, ludique et jouisseur, offre son corps à l’eau salée et au soleil. Cette misse en contexte est nécessaire afin de bien comprendre le caractère «héroïque» qui définit l’attitude de ces naturistes d’avant l’heure qui, en Allemagne, en France, ou n’importe où ailleurs, ont été les devanciers de ces tribus de touristes qui, aujourd’hui, déferlent sur les côtes ou envahissent les campings pour se faire bronzer la bedaine.

Jean-Didier Urbain est bien au courant du passé nudiste de Théo Varlet, à qui il applique le qualificatif de “véritable Robinson de l’Île du Levant” (8). Il a lu l’ouvrage de Roger Salardenne et se sert de certains passages afin d’illustrer l’état des choses avant que cette religion du soleil ne trouve ses légions d’adeptes parmi les membres des générations nouvelles: “...Theo Varlet se bronze à l’Île du Levant dès 1909 et ce n’est qu’à partir de 1945 que revenir bronzé «d’un séjour à la plage est un vrai snobisme»… Le «ton de peau», dit Théo Varlet, choque. Il choque bourgeois et hygiénistes parce que «le discours médical sur la blancheur du teint, signe de santé, perpétue surtout la Varlet, Théo. Aux Îles Bienheureuses. Grasse: Éditions de l’Artisan, 1925. Frontispice gravé au canif par Lucien-Jacques.morale aristocratique de l’oisiveté ostentatoire»… Bronzer, c’est rétrograder, non seulement socialement mais humainement. Bronze vivant, l’homme bronzé est aussi fantasmé, scandaleux bâtard du «singe nu» et du soleil, comme un être dégradé dont la peau, objet d’une pigmentation inversée, évoque l’hideuse animalité de l’homme noir, la régression et l’ensauvagement auxquelles conduit l’impudique exposition du corps à la lumière”. (9)

«Christianisme hypocrite», dû s’écrier Théo Varlet en observant le continent depuis son Éden particulier des Îles d’Hyère. Un paradis terrestre où il lui est permit d’admirer, “hors des hardes civilisées”, la “splendeur des chairs” de sa compagne, dont le ton doré “exaspère l’outremer du ciel et l’indigo de la mer” à un point tel qu’il ne peut pas s’empêcher d’exclamer: “Te voilà pure, ainsi, comme une déesse de marbre, et plus parfaite d’être vivante et mobile dans la lumière…” (10). Livrés “à l’incubat sacré du soleil”, “volontairement retournés à la simplicité primitive, le long de mers originaires de la vie”, ils absorbent “la joie de la Lumière, que tu prodigue au monde épanoui sous tes rayons… ô Père universel de la vie planétaire, Source et Origine de nos destins, lieu et foyer de toute vie concevable…” (11)

Lorsqu’en 1939, Félix Lagalaure fait le bilan de la vie et l’œuvre de Théo Varlet, il prend le soin de proclamer la partie de gloire qui lui revient: “il eut la joie de voir triompher sur les plages et dans les villes maritimes, la nudité païenne, de voir avant sa mort cette réalisation qu’il rêva”. (12)

(1) Salardenne, Roger. Un mois chez les nudistes. Nouveau reportage en Allemagne. Paris: Éditions Prima 1930: 173.
(2) Ibid.: “Première lettre à Roger Salardenne”:174.
(3) Ibid.: “Deuxième lettre à Roger salardenne”: 176.
(4) Ibid.: “Deuxième lettre à Roger salardenne”: 176.
(5) Ibid.: “Conférence sur les voyage à pied de Théo Varlet aux Rosati d’Amiens, 1928”: 178-182.
(6) Ibid.: “Conférence sur les voyage à pied de Théo Varlet aux Rosati d’Amiens, 1928”: 180
(7) Urbain, Jean-Didier. Sur a plage. Mœurs et coutumes balnéaires (XIXe-XXe siècles). Paris: Éditions Payot et Rivage, 2002: 123.
(8) Ibid.: 185.
(9) Ibid.: 189, 190.
(10) Varlet, Théo. Aux Îles Bienheureuses. Grasse: Éditions de l’Artisan, 1925: 22.
(11) Ibid.: 33.
(12) Lagalaure, Félix. Thèo Varlet. Sa vie-Son œuvre. Paris: L’amitié par le livre, 1939: 34.