À la chasse du Cachalot Blanc: Moby Dick traduit par Théo Varlet. 2ème partie.

1ere partie

La détermination de Théo Varlet à poursuivre les travaux de traduction intégrale de Moby Dick va cependant se renouveler avec brio vers la fin 1930. La nouvelle adaptation cinématographique du roman de Melville par Lloyd Bacon en septembre 1930, en est-il l’un des éléments déclencheurs? Peu importe; ce qu’il faut retenir ici c’est que Théo Varlet s’est affairé à la rechercher d’un éditeur susceptible de s’intéresser à son projet et qu’il est convaincu de l’avoir trouvé en la personne de Maurice Tahon, l’un des fondateurs des Éditions du Bélier, nouvellement créé. Il s’empresse d’en faire part à Jules Mouquet, de retour à Cassis, après un court séjour à Paris en novembre 1930:

“… Tahon, dont j’ai dû vous parler: là, affaire conclue, une édition de luxe de Moby Dick de Melville”.(11)

Il ne manque pas d’insister sur le besoin de garder le “secret absolu indispensable, l’œuvre étant du domaine public”..(12).

L’entente(13) convenue avec Maurice Thaon prévoyait tout d’abord une édition de luxe d’une longueur de 250 pages, à paraître en mars 1932, dont le manuscrit devait lui être remis en avril 1931. Par la suite, une édition courante comprenant le texte intégral du roman (quelques 600 pages) dont le le-crapouillot-2manuscrit était à livrer en avril 1932, devait sortir des presses du Bélier en octobre de la même année.

C’est à peine deux mois plus tard, que les craintes de Théo Varlet qu’un autre traducteur(14) s’intéresse à Moby Dick semblent s’avérer fondées :

“…je m’était mis tranquillement à cette traduction réduite – tout en la poussant un peu plus que le nécessaire, pour avancer déjà la besogne de refonte complémentaire, – lorsque l’éditeur m’avise que le bruit court qu’une autre traduction se prépare… Et il décide de sortir la nôtre au plus vite, avant mai, et dans l’ordre inverse des prévisions du traité; c’est-à-dire l’éd. courante (texte complet!) d’abord… Et il me supplie de lui livrer le MS avant fin mars.”(15)

Tout en ayant conscience de son intérêt à ne pas se laisser devancer par les concurrents, Théo Varlet ne peut pas éviter un profond sentiment d’écrasement face à cette surcharge de travail inattendu:

“…C’est là une tâche matériellement impossible. Tout ce que je puis faire, c’est de donner un texte élagué seulement des quelques chapitres de déclamations biblico-mystiques qui seraient intolérables au lecteur français; ce qui donnerai encore plus de 400 pages. J’arriverai, mais ce ne sera possible qu’avec le concours d’une dactylo, pour le recopiage au net”.(16)

le-crapouillot-1Il faut tenir compte de certains faits afin de mieux évaluer l’impact de ce retournement de situation. Premièrement, Théo Varlet est déjà aux prises avec plusieurs autres travaux de traduction dont l’exécution ne répond à d’autres motivations qu’à celles liées à l’amélioration de ses finances. Deuxièmement, le souvenir de l’échec de la publication en volume de son roman Avant la nuit barbare est encore très présent dans sa mémoire. Puis finalement, il est tourmenté par le fait de ne pas pouvoir consacrer le temps qu’il faudrait à la réalisation de ses œuvres personnelles.

Son découragement est à son maximum lorsqu’il se confie à nouveau à Jules Mouquet vers la fin février 1931:

Inutile que j’attende, pour vous écrire plus tranquillement, une période moins chargée; j’en ai pour jusqu’à la fin du séjour ici à subir l’odieuse corvée que représente cette traduction menée sous la contrainte de l’urgence, à une allure et à une tension atteignant l’extrême limite des possibilités… Donner son maximum d’effort, oui, ça va, pour une œuvre personnelle; mais dans ce cas-ci, à contre-goût, ce sont les travaux-forcés dans toute leur laideur mécanisante et décourageante de la vie… Très sincèrement, s’il s’agissait d’une affaire moins importante, j’enverrais tout promener.”(17)

Malgré l’ampleur de la tâche, Théo Varlet réussi à tenir le coup grâce à un effort de volonté surhumaine. Tant et si bien qu’il arrive à l’achever, ainsi que l’introduction à l’ouvrage, peu après la mi-mars. le-crapuillot-page-de-couverture(18). Il se rend aussitôt à Paris où il remet “à l’éditeur le fameux MS de Moby Dick”(19) dimanche 29 mars 1931 après-midi.

S’il exulte au point de songer à la transposition de Robinson Crusoé, à donner elle aussi aux Éditions du Bélier, le réveil ne se fera pas attendre. La crise américaine de 1929, qui va se répercuter en France plus tardivement en 1931, semble avoir mis en difficulté les Éditions du Bélier avant de lui porter le coup fatal. C’est dans un tel contexte que la parution dans Le Crapouillot d’Une nuit à l’Hôtel de la Baleine a eu lieu, publication qui répond à un objectif bien précis tel que Théo Varlet le rapporte à Jules Mouquet dans sa lettre du 10 septembre de ladite année:

“… Moby Dick semble devoir être, bientôt pris par un éditeur (Stock) pour l’édition courante. La publication du livre dans le Crapouillot (…) achèvera sans doute d’accrocher l’affaire.”(20)

L’édition de luxe quant à elle “…est toujours convenue avec les éd. du Bélier, qui vont rouvrir en octobre, avec «de l’argent frais», les anciens créanciers n’ayant été réglés que très partiellement (…). Là, tout semble aller bien.”(21)

Cependant, l’espoir de voir publier l’édition courante de Moby Dick chez Stock ne va pas se concrétiser. Varlet se tourne alors vers la Librairie Arthème Fayard où, décidé à publier les auteurs célèbres de son temps, Arthème Fayard le jeune “souhaite donner l’édition courante”(22) du roman.

11- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Casis, 30 novembre 1930. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 – II – 297.
12- Ibid.
13- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Casis, 11 février 1931. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 – II – 304.
14- De quelle traduction s’agirait-il? Celle entreprise par Jean Giono, Lucien Jacques et Joan Smith n’a été publiée qu’en mai 1938.
15- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 11 février 1931. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 – II – 304.
16- Ibid.
17- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 27 février 1931. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 – II – 305.
18- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 19 mars 1931. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 – II – 307.
19- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 29 mars 1931. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 – II – 310.
20- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 10 septembre 1931. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 – II – 323.
21- Ibid.
22- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 24 décembre 1931 . Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 – II – 330.

3ème partie…

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