Les démarches entreprises par Théo Varlet afin de faire publier Avant la nuit barbare vont être aussi nombreuses qu’infructueuses. Les réponses de certaines maisons d’édition et journaux vont se faire attendre, tout particulièrement celles de Plon et du Figaro. L’énorme indolence observée porte à croire qu’il n’y a jamais eu un véritable intérêt pour la publication du roman, d’autant plus que, en apparence, personne ne semble avoir dédié un peu de son temps à la lecture du manuscrit.
Puisque Théo Varlet est déjà en relation d’affaires avec Plon – qui avait publié Le roc d’or quelques mois auparavant – c’est à cette maison d’édition qu’il décide de s’adresser en premier lieu. Depuis Paris, où il vient d’arriver le 1er août 1927, il écrit à Jules Mouquet et lui dit:
“1ère besogne: porter Christus chez Plon”(8).
En réalité, il a plutôt l’idée de le faire publier premièrement en feuilleton dans les pages d’un journal – affaire plus payante – et en volume par la suite:
“…on m’a conseillé d’aller voir d’abord à l’Écho de Paris; mais il faudra sans doute, pour cette gazette, édulcorer tous les passages «indécents»! Ce à quoi je suis résigné d’avance”(9).
La réponse de ce journal est immédiate:
“L’Échos de Paris n’a rien voulu savoir, par principe: il faut uniquement, là, des feuilletons à l’eau de rose, m’a dit Franc-Noahin(10)!”(11).
Il décide alors de soumettre sa deuxième copie du manuscrit au Figaro:
“J’ai laissé à Patin(12) mon MS B. de C.V.; mais je crains que ce ne soit très long à avoir une réponse”(13).
Au cours du même jour, il cogne aussi à la porte des Éditions Radot:
“Chez Almira(14), causé une heure de tous sujets… En cas de malheur chez Plon, pour C.V., il serait très heureux de l’avoir… Mais je considère Almira, provisoirement, comme une simple relation d’attente…”(15).
Le 5 août, c’est au tour de L’Intransigeant, où Fernand Divoire(16), son rédacteur en chef, se montre disposé à prendre en charge l’édition de l’un de ses prochains romans. Nonobstant, “C.V. ne le tente guère, surtout comme titre… qu’il a ironisé plaisamment en: «Christus… quel As!»… pour faire «plus moderne»(17)… Notez que j’avais entendu: «C. Kélas»… c’est-à-dire un mot vaguement grec associé au latin. Mon spirituel interlocuteur a bien ri de ma méprise, et en a été d’autant plus fier de son «mot»”(18).
Il tente aussi Le Temps:
“Au Temps, c’est à un certain M. Poirier (19) que j’aurai affaire, paraît-il. J’hésite encore à porter le MS nº 3, car si C.V. était pris au Figaro et au temps… Mieux vaut attendre, pour essayer le Temps, d’avoir la réponse du Figaro… ”(20).
Malgré tout, une semaine plus tard rien n’a l’air d’avancer:
“Pour C.V., les choses en sont restées où je vous l’ai dit: un MS chez Plon, et un au Figaro”(21)…
Tout en lui réitérant ses intentions premières, il fait savoir à Jules Mouquet:
“J’attends la décision de ce dernier (du Figaro) avant de rien tenter au Temps, s’il y a lieu”(22).
Un mois s’est écoulé et Varlet se laisse gagner par son impatience:
“Pas encore de nouvelles de Plon, ni du Figaro. D’ici 15 jours je relancerai le 1er si rien ne vient...”(23). “Je sens que ma place, actuellement, est à Paris. Plon ne me donne pas de nouvelles de CHR… Et j’ai hâte d’entamer la vraie lutte pour une meilleure notoriété littéraire, qui doit signifier un rendement plus adéquat de mes travaux, dont je ne peux absolument me passer”(24).
Impatience qui fera peu après place à un désespoir légitime:
“Je ne conclus rien du silence de Patin, au sujet de Christus, depuis 3 mois; mais, de la part de Plon, ça me paraît de mauvais augure. Je vous avoue que je serais très embêté, momentanément, si on ne le prenait pas là… Bien sûr, étant à Paris, je pourrais aviser à le placer ailleurs; mais la perte de temps!”(25).
Il se résout finalement à voyager à Paris pour se rendre, samedi le 7 novembre, chez Plon, où “Christus, ayant été lu par quelqu’un qui refuserait Quo Vadis, a dû être rendu en lecture à un autre juge; mais à ce que j’ai cru sentir, c’est pour le principe, et l’acceptation ne fait guère de doute”(26).
Malgré tout, ses craintes vont s’avérer justifiées:
“Deux jours après m’avoir fait entendre que Christus serait accepté, la maison Plon m’a renvoyé hier mon MS, avec la lettre que je vous communique, ci-jointe”(27).
Offusqué, Varlet n’en démord pas pour autant; il continue de garder bon espoir de voir son roman être publié en volume:
“Les résultats médiocres de la vente du R(oc d’)O(r), alors que traductions et reprod(uction) affirment la valeur du roman au p. d. v. grand public, m’empêchent de beaucoup regretter cet incident. Ailleurs, ce sera mieux lancé (…) Car Hachette me sollicite (je vous le dis entres nous) pour un nouveau roman d’anticipation. Je vais leur proposer Chr. et, si ça ne va pas là, il y a d’autres éditeurs”(28)…“il semble que je n’aurai que l’embarras du choix. Hachette, Sabord(29) … La N.R.F.? ”(30).
Les semaines à venir lui feront prendre conscience de son excès de confiance et de son manque de jugement.
Pour l’instant, il entend concentrer ses efforts sur la publication en feuilleton de son manuscrit par Le Figaro, où “grâce au souvenir de de Flers(31) et du Roc d’Or, Patin considère un peu C.V. comme un legs de Flers”(32). Et même si ce dernier lui avoue ne pas l’avoir encore lu, Varlet se montre positif et enthousiaste, tel que le laisse entendre le récit qu’il fait de sa visite à la rédaction du journal:
“Il m’a demandé qq renseignements sur la nature de C.V., la façon dont je l’ai traité; et ce que je lui en ai dit a paru le satisfaire. «Lisez-en la 1 page, ai-je ajouté, vous verrez tout de suite si ça convient». Justement, vous vous en souvenez le début de C.V. est tout «d’action», comme on dit à présent… Je serais tenté de croire que dans son idée C.V. est déjà accepté. – «Vous passeriez en mi-février seulement. N’est-ce pas trop vous faire attendre»? – «Rien ne presse. Je ne parais pas en volume avant avril», ai-je lâché froidement… D’ici un mois je retournerai voir Patin lui demander réponse ferme”(33).
Nonobstant, un certain sentiment de doute subsiste dans son for intérieur quant aux possibilités de publication qui lui offre Patin, et qu’il ne s’empêche pas d’exprimer à son ami Jules quelques jours plus tard:
“Oui, je voudrais bien que C.V. Parût au Figaro; mais en dépit des bonnes dispositions de Patin rien n’est encore certain”(34).
Cette méfiance fait en sorte que, suite à la recommandation de Jules Mouquet (?) il se décide à solliciter l’appui de Fréderic Lefèvre(35) afin qu’il “intervient auprès de Noël Sabord ”(36), journaliste au journal Paris-Midi. Varlet se tourne aussi vers la N.R.F., et ce malgré le fait qu’il ne le considère pas comme le meilleur des choix à cause de la difficulté qu’il a pour s’y faire payer son dû provenant des ventes d’Un Éden cannibale (sa traduction de Typee: A Peep at Polynesian life, le premier livre de Herman Melville):
“Je suis allé hier à la N.R.F. porte le MS de C.V. J’aurai une réponse d’ici un mois”(37).
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8, 9-Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 1 août 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 169.
10- Franc-Noahin /1872-1934): De son vrai nom Maurice Étienne Legrand. Écrivain et poète, il fut rédacteur en chef de l’Écho de Paris.
11- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 2 août 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 170.
12- Jacques Patin: directeur du supplément littéraire du Figaro.
13- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 2 août 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 170.
14- José Almira (1895- ?): Politicien, homme de lettres et publiciste d’origine espagnol. Il fonda en 1925 les Éditions Radot.
15- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 2 août 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 170.
16- Fernand Divoire (1883-1951): Écrivain et journaliste, il fut secrétaire général de L’Intransigeant et rédacteur en chef du Journal littéraire.
17-Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 4 août 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 171.
18- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 12 août 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 172.
19- J. Poirier: Gérant du Temps, quotidien français disparu à la fin 1942.
20- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 4 août 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 171.
21, 22- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 12 août 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 172.
23- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 13 septembre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 176.
24- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 16 octobre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 180.
25-Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Cassis, 24 octobre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 181.
26- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 7 novembre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 183.
27, 28- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 11 novembre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 184.
29- Noel Sabord (1882-1949): De son vrai nom Léon Bordas. Journaliste et critique littéraire à Paris-Midi.
30- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 19 novembre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 186.
31- Robert de Flers (1872-1927): Directeur littéraire du Figaro dès 1921 jusqu’à sa mort le 30 juillet 1927.
32, 33- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 20 novembre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 187.
34-Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 24 novembre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 188.
35- Fréderic Lefèvre (1889-1949): Romancier, essayiste et critique littéraire. Un des fondateurs des Nouvelles littéraires, hebdomadaire dont il sera le rédacteur en chef de 1922 jusqu’à sa mort en 1949.
36- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, décembre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 192.
37- Lettre de Théo Varlet à Jules Mouquet. Paris, 17 décembre 1927. Bibliothèque municipale de Lille. Médiathèque Jean Levy. Fond Jules Mouquet, dossier MS C 195 II – 196.
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