Enrique Díez-Canedo traducteur de Théo Varlet.

Lorsqu’en 1913 Enrique Díez-Canedo publie son anthologie La poesía francesa Moderna – La poésie française moderne – (1) en collaboration avec Fernando Fortún, qui mourra, en pleine fleur de l’âge, une année plus tard, il a déjà derrière lui une assez vaste expérience en tant que traducteur et une très large connaissance de la poésie et des poètes du pays voisin. Car dès son entrée en littérature, cet espagnol, né à Badajoz en 1879, manifestera un très vif intérêt à l’égard de la poésie composée un peu partout au-delà des limites du monde hispanique. Ce rapprochement de la poésie d’ailleurs par le biais de sa “recréation” en langue espagnole, a en outre été pour lui le moyen de transiter par des territoires qui lui étaient étrangers, de les explorer, et de se laisser pénétrer par le génie et le rythme enveloppant chacun des poèmes dont il entreprit la traduction.

“Suivant la formule de quelques anthologies française, en particulier celle préparée par A. Van Bever et Paul Léautaud pour le Mercure de France, mais sans pour autant être fidèle à aucune d’entre elles, Díez-Canedo et Fernando Fortún ont sélectionné plus d’une demie centaine de poètes depuis les précurseurs romantiques de sensibilité symboliste, tel Gérard de Nerval, jusqu’aux plus récents de leurs contemporains” (2). Parmi ces contemporains, ces poetas nuevos – poètes nouveaux –, se trouvaient quelques noms que la postérité a bien voulu retenir, Díez-Canedo, Enrique / Fortún, Fernando: La poesía francesa Moderna.  Madrid: Renacimiento, 1913. Page de titre.comme Jules Romain, Georges Duhamel ou Charles Vildrac, à côté d’autres qui, avec ou sans raison, finiront par sombrer dans les aux troubles de l’oubli. Cela a été le cas, par exemple, de Théo Varlet, dont les poèmes « Sicile » (Notes et Poèmes. Édition du Beffrois, 1905) et « Groede » (Notations. Édition du Beffrois, 1906) ont tous les deux été traduits par Díez-Canedo lui-même. Ainsi, lorsqu’au début des années 1940, cette fois en solitaire, Enrique Díez-Canedo entreprend la publication de La Poesía francesa del romanticismo al superrealismo – La Poésie française du romantisme au surréalisme –, une version corrigée et augmentée de son anthologie de 1913 qui verra le jour au Mexique en 1946, il prendra la décision d’éliminer certains auteurs parmi lesquels se trouvaient, entre autres, Louis Mandin, A. Tournoux et Théo Varlet. “Si le métier de prophète a toujours été difficile (…), cela l’a été encore plus au début de la deuxième décennie du siècle; les coups de canon du Kaiser et les boutades des Dadaïstes annonçaient une même chose: la fin d’une époque, un avenir heureux qui est devenu passé sans avoir jamais été présent”. (3)

La poesía francesa Moderna eut une influence capitale en ce qui a trait à la diffusion de la poésie française autant en Espagne qu’en Amérique Latine. Cette influence fut d’autant plus importante qu’elle contribua à la formation de grand nombre de poètes de langue espagnole. Si la plupart de poèmes recueillis dans l’anthologie ont été traduits par Díez-Canedo et Fernando Fortún, les contributions d’autres éminents poètes tels Juan Ramón Jiménez, Pedro Salinas ou Ramón Pérez de Ayala, ont servi de vecteurs ayant facilité la pénétration des nouveaux courants poétiques dont la France bourgeonnait à l’époque. Au dire de l’écrivain et historien vénézuélien Mariano Picon Salas, “…Un livre comme L’Anthologie de la poésie française moderne, tellement clair et bien documenté, aux traductions si fidèles, n’a seulement servi à compléter et faire le bilan de la révolution moderniste, mais a aussi permis d’anticiper, déjà en 1913, quelques-uns des changements et influences qui allaient s’opérer sur la nouvelle poésie”. (4)

Les amateurs de poésie de langue espagnole ont donc eu accès à un petit échantillon de la poétique de Théo Varlet. Díez-Canedo le présentait ainsi dans la courte notice biobibliographique précédant ses poèmes: “Il est un paysagiste plein d’élan; son esprit, exalté par des impressions lumineuses et matinales, apparaît parfois dominé par un noir spleen dans lequel l’on ressent l’influence de Laforgue. Son rythme est inégal et vigoureux, et sa langue est riche en exotismes et néologismes”(5). Étonnamment, les deux poèmes retenus par Enrique Díez-Canedo, « Sicile » (6) et « Groede » (7), tirés respectivement de Notes et poèmes et Notations, sont parmi ses plus descriptifs et à clair accent symboliste. Puisqu’ilDíez-Canedo, Enrique / Fortún, Fernando: La poesía francesa Moderna. Gijón: Universos, 1994. Couverture avant. classa Varlet dans le groupe de poètes nouveaux, c’est-à-dire, parmi ceux qui essayaient de pousser à l’extrême la technique vers-libriste tout en recherchant des nouvelles sources d’inspiration poétiques, il aurait pu très bien sélectionner des poèmes à caractère plus scientifique et philosophique afin de montrer le penchant vraiment moderniste que Varlet commençait déjà à manifester. C’est le cas, par exemple, de « Les Hôtes » (Notes et Poèmes), long poème décrit par André Jeanroy-Schmitt comme étant “…un tableau d’une beauté sauvage et grandiose” (8). Dans ce genre de compositions, encore plus nombreuses dans Poèmes choisis, 1906-1910 (Cassis. Chez l‘auteur, 1911), “c’est la science qui conduit tout; la pensée dont elle inspire et règle le cours, et par la pensée, l’expression qui lui est adaptée selon un calcul exact, et par la pensée encore, le rythme qui en traduit le mouvement même… Mais “l’inspiration”, mais la “poésie pure”? Eh bien, elle doit envelopper, baigner le poème…” (9)

Il semble que Théo Varlet n’ait jamais eu de nouvelles au sujet de cette anthologie ni du fait qu’il en faisait partie. Aucune mention n’en est point faite dans la bibliographie dressée par Jules Mouquet en janvier 1925 ni en celle composée par Felix Lagalaure, peu après le décès de Varlet, en 1939. Il continue d’être le cas aujourd’hui. Une réédition de La poesía francesa moderna a pour autant vu le jour à Gijón, il y a tout juste vingt ans, au mois d’octobre 1994. À la fin de l’introduction précédant le texte de 1913, José luis García Martín, directeur de la collection au sein de laquelle elle a été rééditée, souligne en guise de conclusion: “Il y a beaucoup d’archéologie en ce livre inégal et magistral, mais cela fait partie de son charme. Ni tous les traducteurs sont à la hauteur de la tâche, ni tous les poètes dont les poèmes ont été traduits sont des grands poètes (…), mais même parmi ces poètes mineurs, nous risquons de trouver un poème – et un poème suffit à sauver un auteur- qui ne manquera pas de nous surprendre par une inespérée promesse de bonheur” (10). Il est bien vrai; il y a beaucoup de fouille archéologique dans l’acte de se pencher sur les pages jaunâtre d’une vieille anthologie et de s’adonner à la tâche d’exhumer et redécouvrir les ruines de ces œuvres qui n’ont pas pu résister aux attaques du temps et des modes. Quelle meilleure récompense que celle de se régaler de leur beauté recouvrée!

Groede
……….
Plein le ciel torpide et serein,
Des oiseaux chantent;
Onze heures sonnent au clocher et se répandent,
Lentes, sur les polders ruminants de Zélande. (11)

……….
El cielo, torpe y sereno,
Lleno de pájaros, canta;
Las once en el campanario van sonando, y se dispersan
Pausadas, sobre los polders ruminantes de Zelanda. (12)

1- Díez-Canedo, Enrique / Fortún, Fernando: La poesía francesa Moderna. Antología ordenada y anotada por Enrique Díez-Canedo y Fernando Fortún. Los precursores. Los parnasianos. Los maestros del simbolismo. El simbolismo. Los poetas nuevos. Madrid: Renacimiento, 1913.

2- Díez-Canedo, Enrique / Fortún, Fernando: La poesía francesa Moderna (1913). Antología ordenada y anotada por Enrique Díez-Canedo y Fernando Fortún. Los precursores. Los parnasianos. Los maestros del simbolismo. El simbolismo. Los poetas nuevos. Gijón: Universos, 1994: 6.

3- Ibid.: 6

4- Picón-Salas, Mariano. “Recuerdos”. Al poeta Enrique Diéz-Canedo. México: Litoral, número especial (agosto 1944): 31.

5- Díez-Canedo, Enrique / Fortún, Fernando: La poesía francesa Moderna. Antología ordenada y anotada por Enrique Díez-Canedo y Fernando Fortún. Los precursores. Los parnasianos. Los maestros del simbolismo. El simbolismo. Los poetas nuevos. Madrid: Renacimiento, 1913: 296.

6- Ibid.: 296.

7- Ibid.: 297.

8, 9- Jeanroy-Schmitt, André. La poétique de Théo Varlet. Lille, Mercure de Flandre (juin-juillet 1929): 92.

10- Díez-Canedo, Enrique / Fortún, Fernando: La poesía francesa Moderna (1913). Antología ordenada y anotada por Enrique Díez-Canedo y Fernando Fortun. Los precursores. Los parnasianos. Los maestros del simbolismo. El simbolismo. Los poetas nuevos. Gijón: Universos, 1994: 6.

11- Varlet, Théo. Notations. Lille, Edition du Beffroi, 1906: 51. Dernière strophe du poème Groede. Version originale française.

12- Díez-Canedo, Enrique / Fortún, Fernando: La poesía francesa Moderna. Madrid: Renacimiento, 1913: 297. Dernière strophe du poème Groede. Version espagnole d’Enrique Díez-Canedo.

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