Les Titans du ciel vu par Victor Barbeau

 

Victor Barbeau avait des idées bien arrêtées en matière littéraire. À ses yeux, la vraie littérature se devait de faire grandir l’esprit du lecteur par son originalité et par sa perfection formelle et esthétique. Il s’agirait d’une littérature prenant en considération des sujets à caractère universel et toujours vivante car en rapport avec la réalité: “Née de la vie, elle a pourtant besoin, pour être pleinement comprise, d’être jugée en fonction de la vie” (La Presse, 16 mars 1933).

Cette distinction élitiste ne l’empêchera pas pour autant d’apprécier cette parcelle de la littérature dite “populaire” qu’est le roman d’aventures. Il en fait la remarque au tout début de sa critique de Les titan du ciel que voici:

*“Chaque fois qu’il m’arrive de lire un roman d’aventures, j’éprouve un plaisir singulier et nouveau. Et plus l’histoire est audacieusement invraisemblable, plus ma joie est grande et complète. Il me semble que ces livres, outre qu’ils servent d’exutoire aux caprices et aux largesses de notre imagination, nous apprennent à mieux apprécier dans la suite les ouvrages vrais. Ce sont des haltes où l’on se repose de la parfois encombrante vérité et où l’on se débarrasse pour quelques instants du bagage de ses expériences personnelles. C’est d’un repos de toute confiance et d’une recréation souvent réconfortante.

Le roman planétaire de MM. Octave Joncquel et Théo Varlet ne n’est pas aussi invraisemblable qu’on serait d’abord tenter de le croire. En y réfléchissant, on ne le trouve même pas assez invraisemblable. C’est un roman de guerre où l’allégorie dissimule mal l’actualité sur laquelle il repose. Les nations y font place aux planètes, mais ce sont là des planètes qu’on se souvient avoir connues il n’y a pas longtemps et que l’on reconnait encore très bien aux gestes et au caractère de leurs habitants. L’une d’elles a peut-être grandi en science et en barbarie, mais ses ambitions sont restées les mêmes, ses luttes pareilles.

Comme les peuples d’hier, les planètes se font la guerre. De ces dévastations nouvelles naissent le bolchevisme et l’anarchie. La Ligue des nations demeurant impuissante à ramener l’ordre et la paix, le monde s’écroule, victime de son imprévoyance, de ses utopies et de son pacifisme.

Car, c’est au moins mon impression, Les titans du ciel sont un roman nationaliste. Le bouleversement que décrivent avec tant de puissance MM. Octave Joncquel et Théo Varlet, à quoi l’attribuer si ce n’est à la trop grande confiance de la France menée, de même que tout l’univers d’ailleurs, par un nouveau M. Woodrow Wilson, et à la mégalomanie de l’Allemagne? Ces nombreux emprunts aux événements contemporains font donc des Titans du ciel plus qu’un roman d’aventures. Ils en font en même temps que le procès des utopies en cours une mise en garde captivante et de circonstance”.

Mise à part le discours voulant opposer la littérature populaire à une littérature plus sérieuse, moins spontané et plus élaboré, ce qui ressort de cette chronique est une profonde inquiétude au sujet du climat social et politique de l’époque dans laquelle il a été publié. Quatre ans ne s’étaient pas écoulés depuis la fin de la Grande Guerre qu’on sentait déjà que le calme ne durerait pas.

À lire, cet intéressant texte qui fait la lumière sur les commentaires de Victor Barbeau à l’égard de Woodrow Wilson, président États-Unien de l’époque, et de l’Allemagne : http://rha.revues.org/288.

*Barbeau, Victor. Les titans du ciel. Montréal: Les cahiers de Turc, 2ème série, nº 6 (1er mars 1922): 75, 76.

Théo Varlet et le Québec

 

C’est dans une librairie antiquaire de Montréal que j’ai trouvé, il y a déjà plus de dix ans, mon premier livre de Théo Varlet. Il s’agissait de La belle Vénère, un recueil de contes inspirés, par la plupart, de l’antiquité gréco-latine. Je l’ai littéralement dévoré page après page, le souffle entrecoupé, sans pouvoir m’arrêter un seul instant durant sa lecture. J’avais aussi remarqué à son côté, également habillé d’une demi-reliure en basane verte foncée, un exemplaire de Les titans du ciel que j’avais jugé, trop hâtivement, une de ces histoires loufoques bonne à ne satisfaire que les férus de littérature martienne. Malgré cette mauvaise première impression, j’en faisais l’achat le lendemain. Les dieux en soient loués car, une fois sa lecture terminée, ma perception avait complètement changé.

Victor Barbeau

Ces deux ouvrages de Théo Varlet, nous allons le voir, ne se trouvaient pas là par hasard. Théo Varlet à été connu d’une certain partie du lectorat Québécois des années vingt et trente si bien il est difficile aujourd’hui d’en préciser à quel point. Le Québec, dont la première langue est le français, à depuis toujours constitué un marché naturel pour les livres produits notamment en France et en Belgique. Des librairies telles que Deom, longtemps demeuré le plus grand importateurs de livres au Québec, ont joué un rôle de premier ordre dans la diffusion de ces même livres. Des voyageurs des deux côtés de l’Atlantique ont eux aussi souvent apporté des idées et des livres dans leurs malles. Tel fut le cas de certains intellectuels Québécois, écrivains ou journaliste, dont l’imprégnation des modes littéraires de l’époque et la connaissance des auteurs les plus en vue à sans doute élargi leurs horizons. Cela leur a permis, une fois de retour au pays, de combattre l’enfermement qu’y régnait encore.

Parmi eux, Victor Barbeau, journaliste, polémiste et pamphlétaire, critique culturel à La Presse entre 1918-1920 et 1931-1933, activité qui lui permettra de rejoindre, pendant des années, un groupe notable de lecteurs et de lectrices qui communiait à une même culture francophone et partageait les mêmes aspirations. C’est lui qui organisa, en 1921, la premier Semaine du livre, ancêtre du Salon du livre de Montréal, et invita, durant de sa présidence du PEN club de Montréal, des figures telles que Paul Claudel, André Maurois, Jules Romains, Céline, ou Antoine de Saint-Exupéry. Finalement, c’est par soucis de sa langue et de la culture de expression française, qu’il fonda, le 9 décembre 1944, l’Académie canadienne-française.

Victor Barbeau. Ex-librisLes cahiers de Turc, revue dont il est l’unique responsable, sera l’organe au moyen duquel il développera la plus grande partie de son activité pamphlétaire. Toujours franc et parfois humoristique, il n’hésite pas a se montrer sarcastique et même brutal lorsque toute bêtise, bassesse ou médiocrité vient heurter sa fierté et son sens de la dignité. Fierté et dignité dans lesquelles Théo Varlet lui-même se serait sans doute reconnu. Ce n’est peut-être donc pas par un coup du hasard si Les cahiers de Turc du 1er mars 1922 (2ème série) contient la critique de Les titan du ciel, roman écrit en collaboration avec Octave Joncquel et publié par Edgar Màlfere quelques mois auparavant en septembre 1921. Cette critique captivante mérite à elle seule un nouveau billet que je ne tarderai pas à poster dans ce blog.

Mon exemplaire de Les titans du ciel, est-il celui ayant un jour appartenu a Victor Barbeau? Difficile à dire, surtout lorsque aucune marque de propriété vient corroborer cette hypothèse. Un autre volume édité par Malfère dans sa particulière Bibliothèque du Hérisson, La guirlande à l’Épousée, un recueil de poèmes de Fagus paru en octobre de cette même année de 1921, porte l’envoi autographe de Malfère ainsi que le bel ex-libris de Victor Barbeau. Au-delà de la simple curiosité, ce deuxième volume nous apprend l’existence d’une certaine sympathie littéraire dont le caractère reste à déterminer.

Théo Varlet. La grande Panne. Feuilleton de La Presse de Montréal

D’un autre côté, le journal montréalais La Presse donnera à ses lecteurs deux des romans d’anticipation des plus emblématiques écris par Théo Varlet: Le roc d’or (décembre 1927) et La grande Panne (février-mars 1931). Victor Barbeau, est-il pour quelque chose dans la décision de La Presse de procéder à la publication en feuilleton des ces deux ouvrages? Encore une fois toute conjecture est risquée malgré le fait que, dans le cas de La grande panne au moins, la collaboration de Barbeau avec La Presse en tant que critique littéraire pour la période 1931-1933 aurait pu rendre possible une telle décision.

Finalement, c’est en la personne de Régis Messac que nous avons un autre lien, extrêmement faible celui-ci, reliant Théo Varlet au Québec. “Confrère ès-anticipations” ayant toujours montré une vive sympathie à l’égard de l’œuvre de Théo Varlet, c’est lui qui va le mettre au courant du plagiat dont La grande panne sera l’objet une année à peine après sa publication par les Éditions des Portique en octobre 1930. Professeur de français à l’université McGill de Montréal entre 1924 et 1929, Messac a toujours dû garder un œil sur ce qui était publié en Amérique du Nord dans le domaine de la science fiction. Les ressemblances entre Death from the Stars (La mort venue des étoiles), de l’écrivain américain Rowley Hilliard, et La grande panne, dont il avait donné la critique peu après sa réédition par l‘Amitié par les livre en octobre 1936, ont dû lui paraître plus qu’évidentes.

Voila de quel façon l’œuvre et l’esprit de Théo Varlet ont voyagé d’un contiennent à l’autre pour y laisser une trace encore aujourd’hui perceptible. Je suis certain qu’il doivent encore rester d’autres qui n’attendent qu’à être exposées à la lumière du jour.

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– Barbeau, Victor. Les titans du ciel. Montréal: Les cahiers de Turc, 2ème série, nº 6 (mars 1922): 75, 76.

– Martin, Michèle. Victor Barbeau. Pionnier de la critique culturelle journalistique. Québec: Les Presses de l’Université Laval, 1997.

– Varlet, Théo. La grande Panne. Querqueville: L’Amitié par le livre, 1936.

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