Le Mas du Chemineau était le nom de la petite maison de campagne dont Théo Varlet fera sa résidence principale après s’être installé définitivement à Cassis en 1913. C’est à l’été 1905, lors d’un séjour à Graveson chez son grand ami le peintre Jean Baltus, qu’il visita pour la première fois ce village pittoresque situé à quelques vingt kilomètres de Marseille: « Au cours d’une excursion sur la côte… les deux amis arrivèrent un soir a Cassis et, séduits par la beauté du site… y restèrent six jours, campant dans les rochers des calanques avec pour toute litière une paire de vieux sacs… Devant le paysage de Cassis, ce fut le «coup de foudre» pour Théo Varlet. Il sentit que des affinités secrètes le liaient à ce coin de la Terre…» (1), (2)
Depuis, il ne songea qu’a s’y établir mais se refusera de le faire avant d’avoir trouvé la femme de son existence, ce qui devait arriver en 1909. Sarah Varlet devient ainsi sa compagne d’élection et sa muse d’inspiration:
“…Rien n’existe que Nous
Seuls, hors du monde, dans notre paradis…” (3)
Le Mas du Chemineau, « maison rose aux toits gris »(4), devient alors sa retraite spirituelle, le sanctuaire où pouvoir développer son œuvre. « Il aimait cette maison très modeste à demi cachée dans les pins. Du flanc de la colline de Ste-Croix elle dominait le quartier du Plan, parfaite image de la Provence campagnarde, vaste cuvette couronnée de roches blanches émergeant des pinèdes avec, pour fond, marqués de sombres touffes de micocouliers, un ample tapis de vignes et, sur les côtes, en tous sens, s’entrecroisant, aux extrémités des enclos, des longues processions d’oliviers ». (5)
Léon Bocquet dira de lui sur un certain ton de reproche: « En pleine nature, loin des cénacles et des compromissions, l’égocentriste Théo Varlet, par ses synthèses cosmiques, ses alchimies et ses métempsycoses, rêve d’atteindre, au delà des barbaries civilisées d’aujourd’hui, des âges lumineux de l’antiquité hellénique, l’humanité idéale ». (6)
D’autres, préféreront imaginer «…le poète forclos dans sa Tour d’Ivoire, cette tour: le Mas du Chemineau…»(7), complètement dévoué à son travail de création et d’écriture. Malcolm MacLaren, son amis écossais, devenu plus tard son disciple et héritier spirituel, sera l’un de rares à pouvoir partager cette intimité. Il montrera d’ailleurs ses impressions dans un poème très naïf intitulé La sieste d’un poète (8) :
Chemise bleue, pyjama rouge,
Le poète s’étend;
En cette heure où rien ne bouge,
Fuyant les flammes du soleil
Le Maître se recueille,
Et l’ombre close à tout réveil
Mystiquement l’accueille.
Le front hautain, la pipe aux dents,
Le fier cerveau travaille…
Silence… C’est l’accouchement
Des puissantes trouvailles.
Quand je lirai à l’avenir
L’œuvre de ce cerveau,
J’évoquerai, doux souvenir,
Le “Mas du Chemineau”.
Varlet adorait cette retraite. Il éprouvait des vifs regrets lorsqu’il devait la quitter pour des vacances d’été à Saint-Valéry-sur-Somme, Paris, ou Lille, ou afin de s’occuper des ses affaires privées et engagements professionnels. Dans une lettre adressée à son amis Donce-Brisy, rédigée à bord du rapide Marseille-Paris le 6 février 1925, il commentait: « J’ai reçu votre bonne lettre ce matin avant de quitter mon Désert cassiden et de prendre la route du septentrion… Là-bas derrière moi, à un nombre de kilomètres qui de minute en minute s’accroit, je laisse, face à la mère divine, parmi ses amandiers en fleur, mon ermitage, volets clos sur bouquins, paperasses et atmosphère studieuse » (9).
Après l’avoir habité durant plus d’un quart de siècle, la figure de Varlet deviendra absolument indissociable de celle du Mas du Chemineau. À son décès le six octobre 1938, Malcolm MacLaren, épris d’un profond sentiment de perte, envisagea même la possibilité d’en faire un musée national dédié à la préservation de la mémoire du poète. Le cours de l’Histoire en décidera autrement: le Mas sera réquisitionné par les allemands lors de la Deuxième Guerre Mondiale et la veuve de Théo Varlet dut elle-même le quitter. Saccagé, la grand majorité de ses livres et manuscrits seront détruits ou volés.
1- Lagalaure, Félix. Thèo Varlet. Sa vie-Son œuvre. Paris: L’amitié par le livre, 1939.
2- Salardenne, Roger.Un mois chez les nudistes. Paris: Éditions Prima, 1930
3- Varlet, Théo. “Veillé de guerre”. Paralipomena. Paris: Les éditions G. Crès, 1926.
4- Lagalaure, Félix. Thèo Varlet. Sa vie-Son œuvre. Paris: L’amitié par le livre, 1939.
5- Lagalaure, Félix. Thèo Varlet. Sa vie-Son œuvre. Postface du Dr Emmanuel Agostini. Paris: L’amitié par le livre, 1939.
6- Bocquet, León. “Note sur Théo Varlet, poète”. Hommage à Théo Varlet. Mercure de Flandre (Janvier 1925): 39
7- Millet, Marcel. “Théo Varlet, L’Homme”. Hommage à Théo Varlet. Mercure de Flandre (Janvier 1925): 9
8- MacLaren, Malcolm. “La sieste d’un poète”. Le Fleuve nº 29 (1930): 10.
9- Varlet, Théo. Lettre ouverte à Donce-Brisy, Vouloir, n 8 (février 1925): 1
Juil 29, 2012 @ 10:48:34
Commissaire de l’exposition sur « Cassis, port de la peinture, 1845-1945 » prévue pour 2013, je cherche pour compléter le catalogue qui l’accompagnera des textes d’écrivains sur le petit port et ses alentours. Je viens par bonheur de tomber sur votre site qui me permet de mieux situer le Mas du Chemineau, sur le lien avec le site consacré à Jean Baltus dont je vais faire ainsi la découverte et me demande si, en spécialiste de Varlet, vous pourriez me communiquer des textes de lui consacrés à Cassis (je n’ai pu lire que « les îles bienheureuses » sur le Levant et ces extases païennes dans lesquelles j’ai pu retrouver des échos de mes randonnées à la Cacaù ou au pied du Cap!)
En vous remerciant par avance,
Pierre Murat
Juil 30, 2012 @ 01:08:02
Bonjour M. Murat,
Je vous remercie vivement d’avoir pris le temps de me contacter et de m’annoncer ce magnifique projet d’exposition de peinture où une partie de la mémoire, aujourd’hui effacée, de mon cher Théo Varlet pourrait avoir une toute petit place. Je me réjouis aussi de constater que mon blog, dont je ne peux pas m’occuper comme je le voudrais depuis déjà quelques semaines, vous a été d’une certaine utilité.
Je me ferai un plaisir de vous communiquer certains des textes de Varlet en lien avec Cassis ou ses alentours. Donnez-moi juste le temps de bien regarder parmi les documents et références dont je dispose afin de pouvoir le faire de façon cohérente.
“Aux Iles Bienheureuse” peut-être considéré une sorte d’hommage à l’Île du Levant, un véritable paradis où Varlet se permettait de mener, en pleine nature, quelques semaines par année, une véritable vie de “barbare”. En fait, tous ces textes ont été puisés, ici et là, dans des livres et revues publiés entre 1910 et 1924.
Je vous reviens donc dans quelques jours.
Cordiales salutations,
Francisco
Juil 30, 2012 @ 17:49:30
Merci, Francisco, pour les découvertes dont vous me mettez le goût à la bouche